Le vent secouait les arbres et faisait voler les légères feuilles qui venaient se poser délicatement au sol. Les oiseaux volaient malgré le temps automnal. Ce n’était pas un jour d’automne, non, nous étions le dix mai. Il ne faisait pas nuit, même si le ciel était sombre, il était bien trois heures de l’après midi. Le lac comme à son habitude était calme. Il avait décidé de se reposer. Les oiseaux, eux aussi, étaient calmes mais c’était bien plus étonnant.

Mon père m’avait dit de ne pas y aller. Il m’avait dit de rester à la maison. Mais ce jour-là, j’avais tout simplement envie de sortir. Pourquoi retenir une ado de 15 ans chez elle, alors qu’à quelques minutes de là elle pouvait trouver un grand lac et une forêt ? À peine fut-il parti que je sorti, emportant mes clés et ma veste. Le sourire aux lèvres, je marchai jusqu’à ce que ma maison ne soit plus qu’un petit point dans le paysage et que devant moi, les arbres de la forêt se dressent. L’avantage de vivre dans une petite ville de l’Iowa était qu’en toutes circonstances on trouvait toujours un endroit pour être seule. Jake Town n’échappait pas à la règle. Etonnamment, j’aimais beaucoup cette ville. Il faisait nuit tout le temps mais peu importe après tout. Au moins ici personne ne ressemblait à ces garces californiennes… Passons.

Je marchai donc, les cheveux au vent. J’entrai dans la forêt. J’étais bien décidée à aller jusqu’au lac. C’est ce que je fis. En y arrivant, je m’assis à coté d’un grand arbre dont j’étais bien incapable de donner le nom, moi et la flore… Un oiseau, un corbeau plus précisément, vint alors se poser à mes cotés. Je jetai un regard vers lui, et souris. Je trouvai son bec drôlement rouge mais ne m’attardai pas sur un détail si insignifiant. Reportant mon regard vers le lac, je remarquai quelque chose de plus surprenant. D’autres corbeaux, très nombreux cette fois, s’affairait autour de je ne savais à ce moment quelle chose étrange. Je plissai les paupières, intriguée, puis décidai de me lever pour aller voir de plus près. J’avais toujours été très curieuse, bien trop d’après mon père. Je voulais absolument savoir à quoi s’occupaient les oiseaux, au bord de l’eau. Je marchai donc vers eux, le sourire aux lèvres, sachant que ma soif de savoir serait bientôt satisfaite.

Lorsque j’arrivai à la hauteur des corbeaux, mon sourire s’effaça en un temps record, pour laisser place à une expression terrifiée. Jamais je n’avais eu aussi peur de ma vie, jamais mon cœur n’avait battu aussi fort. Le spectacle qui s’offrait à moi me glaça le sang et même si j’en eu l’envie, mes jambes ne voulurent pas bouger. J’étais figée, je ne savais plus quoi faire, quoi dire. Je voulais hurler mais chaque son se bloquait dans ma gorge bien avant de pouvoir sortir. Je suis totalement sure que personne n’avait jamais été aussi terrifié que moi ce jour-là. Personne ne pouvait s’imaginer quelle horreur c’était. Je n’en ai jamais parlé, jusqu’à ce que cela devienne indispensable. Tous mes proches furent choqués lorsque je leur décris le corps de cet inconnu, allongé là, démembré, les corbeaux se faisant un plaisir de savourer sa chair.

La version de la presse fut qu’un homme mort noyé avait été dévoré par des oiseaux affamés. Mais Kary y était, elle avait tout vu. Ou presque, elle en avait assez vu pour dire que cet homme ne s’était pas noyé. Elle était sure de ce qu’elle avançait car le petit doigt de ce pauvre inconnu bougeait encore. Les oiseaux l’avaient tout simplement dévoré, vidé de son sang.

Mais tout ça remonte à plus de quatre siècles. À cette époque-là, Jake Town était habitée par un clan amérindien. Puis un groupe d’Européens et d’Américains blancs arriva et massacra toute la population, sans hésitation, ne laissant derrière eux qu’une marre de sang. Puis ils s’installèrent dans la petite ville. Une femme prédit alors que les victimes reprendraient le contrôle un jour où l’autre, et que cette malédiction serait terrible… La vengeance a commencé. La prophétie se réalise. Kary connaissait cette légende, n’y croyant pas vraiment. Mais elle commençait doucement à lui accorder de l’intérêt. Pour finir par totalement y croire et en parler à ses amis.

D’autres décès suivirent. Des morts mystérieuses. Des cadavres démembrés furent trouvé dans la petite ville de Jake Town, tous retrouvés aux abords de ce lac, ou dans cette forêt. La police n’avait absolument aucune piste. Ils essayaient tant bien que mal de persuader les habitants que le meurtrier, car c’est ce qu’ils faisaient croire, serait bientôt arrêté, en vain. La population ne fit plus confiance aux autorités. C’est comme ça qu’en trois mois, on retrouva 27 cadavres. La petite ville fut mise en quarantaine. Les habitants étaient fouillés dès leur sortie de la ville. À force d’être enfermés ici comme des animaux, ils devinrent méfiants. Chacun pensait que son voisin était le meurtrier, et chacun se disait qu’il pourrait sans aucun doute être la prochaine victime. Tous vivaient dans la peur, la méfiance. Le mot confiance avait été rayé de leur vocabulaire. Mais une poignée d’habitants refusait de laisser leur vie se briser. Les jeunes, en particulier, étaient prêts à tout pour préserver des relations. Ils croyaient à la malédiction, mais armés de courage ils étaient persuadés de pouvoir la vaincre. Kary était parmi ceux-là. Elle avait vu cette horreur mais refusait que cette histoire s’immisce dans sa vie pour tout briser. Jusqu’au jour où elle devint la victime. C’était une personne tuée parmi d’autres. La ville n’en fit pas un drame, bien qu’elle ai perdu la seule personne ayant un vrai lien avec toute cette histoire, la seule à avoir vu l’un des cadavres avant qu’il ne soit totalement dévoré…

Les choses semblent se calmer, mais la peur des habitants est encore bien palpable. Vous pourriez être le prochain sur la liste, faites bien attention à vous. À Jake Town, on vous conseille de toujours regarder derrière vous, quelqu’un pourrait vous vouloir du mal et vous finiriez comme l’un de ces corps sans vie, démembré, gisant au bord du lac, les corbeaux vous grignotant le visage…