bitter sweet memory

« On se voit ce soir Billy ». Je sens le regard de Jaxhuem rivé sur moi, dans mon dos, alors que je ris à la réponse de ma soeur. Elle m'avait tellement manqué que je veux profiter d'elle chaque putain de seconde, mais comme elle a des tas de potes qui meurent d'envie de la revoir - j'en connais au moins une vingtaine, de mecs, qui doivent accourir la queue entre les jambes, pour l'entrevoir. Jubilee Davenport est une légende ici, et je suis en lice pour devenir le prochain phénomène de foire de Jack Town. Heureusement - ou pas, dépendamment des points de vue - avec tout ce qui se passe d'étrange dans la ville ces derniers temps, ma rupture avec Ahàron n'a pas semblé faire trop de bruits. Que l'on ne traîne plus à la fac ensemble, ni même qu'on se retrouve entrelacé dans une salle de classe vide, ne semble être un sujet de discussion. J'en suis rassurée, je n'aurais pas supporté que les filles avec qui je traîne me questionne sur le pourquoi du comment. C'était bien connu, entre Ahàron Horswood et Jheylann Davenport, ça ne semblait jamais pouvoir se terminer. On se fuit, on se suit, on se quitte, se dispute, puis je supporte plus et je retourne le voir, où il m'attendait, les bras croisés, regardant par la fenêtre pour me voir débouler dans la rue, puis détournant les yeux avec un sourire timide sur les lèvres, alors que je lui sautais dans les bras. Je ne supporte pas d'être loin de lui, et là, je ne supporte aucun des deux extrêmes. Je me tortille nerveusement quand on se trouve dans la même classe d'éthique, puis attend qu'il soit sorti avant de m'élancer dans les rangées. Je suis même passer à deux doigts de subir l'insulte suprême de pisser sur ma chaise parce qu'il aurait fallu que je passe près de lui pour sortir de la salle. Je suis comme ça, une putain de gamine, mais j'ai absolument tous les droits. C'est pas moi qui l'ait trompé, enfin, si on veut. Pas trompé, disons trahi ? Ouais, trahi. Et pas avec n'importe qui, mais j'suis tellement lasse d'y penser que je n'approfondis pas ma pensée, me doutant que ça me reviendrait bien assez tôt « Tu parlais à qui ? ». Je passe sa veste de cuir - elle est plus chaude et le parfum qui s'en dégage est rien de moins que divin - ne lui laissant pas le temps de chigner et le saluant par la fenêtre. J'ai cours, enfin je crois. Je pense qu'ils veulent nous faire un topo sur la situation en ville. La joie, j'en suis toute chose!

« Et donc, nous vous signifions qu'il est dorénavant interdit de... ». Je me tortille sur mon banc, parce que j'ai les jambes qui démangent et envie d'être n'importe où, sauf ici. J'emmerde la proviseure qui croit être en mesure de nous dire ce qu'il faut faire pour être en sécurité. À mon avis, des corbeaux, y'en a partout, et pas simplement ceux qui dévorent de la chair humaine, mais ceux qui scrutent nos moindres mouvements, nous observant, tapis dans l'ombre. Ce sont les gens qui sont toujours là sans l'être, des personnes que l'on connait de vue et qui ne sont pourtant rien d'autres que des figurants dans notre vie. Jusqu'à ce que ces derniers entrent en jeu dans celle de ceux à qui l'on tient. Ceux qui existent à nos yeux. Je me lève, pas foutu de continuer à me faire donner des conseils quand je suis à même de vouloir pleurer de rire en me souhaitant, avec un rire jaune, qu'avec l'endroit où se trouve ma confiance en moi, les corbeaux, c'est pas la pire chose qui puisse m'arriver « Assis-toi ». Je me retourne, pour voir le visage d'Isobel Wakefield. Ah, parce que ma journée est pas pour s'améliorer. La confidente d'Ahàron. S'il lui a parlé de notre différent final, je ne réponds plus de mes actes. Malgré mes appréhensions, je m'assois, lui jetant un regard noir « Qu'est-ce que ça te foutrait que je me tire ? Y'aurait plus de place pour tes fesses ».

Je ne compte plus les fois où j'ai piqué une crise à cause d'elle. Pourtant, Isobel n'est qu'une parmis tant d'autres. Je reconnais qu'Ahàron a toujours eu le don de bien s'entourer, s'assurant de manière non-équivoque qu'il y ait une raison pour que je sois jalouse. Même s'il se faisait un devoir de me répondre sèchement quand je lui lançais des piques à ce niveau-là, je le soupçonne de prendre plaisir à ce que je désire le garder que pour moi, en dépit de tout ce que je faisais pour le conforter, au début, j'ai commencé à vouloir lui prouver qu'il n'était pas le seul qui pouvait motiver des crises de jalousie. Maintenant, ça n'a plus vraiment d'importance. Je ne suis plus que la fille qui, un jour, a été la copine d'Ahàron Horswood, et toutes les pétasses ont maintenant le champ libre pour mettre leurs mains manucurés sur lui. Moi, mes ongles, je me les ronge, c'est pas gracieux, mais on se débarasse de son trac et de son stress comme on peut, non? Je ne sais même pas pourquoi je me montre hargneuse vis-à-vis d'elle, par habitude, peut-être. Je ne sais pas si je cherche inexorablement les problèmes, ou c'est justement que je sais que la brunette n'est pas du genre à se laisser impressionner par mes réactions de garce que ça m'interpelle de lui chercher des emmerdes « Tu as bien raison. Après tout, fais ce que tu veux, c'est ce que tu as toujours fait ». Je croise le regard d'Isobel, tentant de me rappeler qui elle était pour Ahàron, déjà. Puis je me rappelle. Il était sensé tout lui dire, comme s'il était capable de se retenir de mentir effrontément ou de cacher la vérité, celui-là. Quoi qu'il en soit, même si on ne se connait que par jeu de circonstances, je crois que je suis facile à percer à jour. Je fais toujours à ma tête. C'est un fait. Je n'aime pas attendre après les autres et dépendre d'eux. Pas depuis que celui en qui je croyais le plus m'a lâchement trompé. De la manière la plus dégueulasse qui soit, en plus « Parce que c'est mal ? Si on parlait plutôt des gens qui n'ont pas le courage de le faire, rien que pour voir ». Peut-être que je dis ça dans le vide, parce que ça ne la concernerait en rien, soit je mets dans le mille, ou encore ça peut toujours être un petit sous-entendu concernant mon mec - enfin, mon ancien copain - qui était son confident. Quelle relation perfide, c'est clair que ça signifie un autre truc. J'vois mal Ahàron se retenir. Elle est jolie et a du caractère. Tout à fait son genre, et j'ai pleinement conscience que je corresponds aussi à ces standards...

« Je me fiche de ce que tu fais de ta vie, mais si tu pars, ça ne ferait que ralentir le supplice et ça, je supporte pas ». Je remarque qu'on me jette des regards amusés, pour la plupart, mais la conférencière me jette un regard noir. Ça ne m'impressionne pas du tout, en fait. J'en ai tellement marre du reste que rien à foutre si je la fais chier. J'ai juste envie d'exploser, pour une bonne fois, parce que je me retiens vraisemblablement trop ces derniers temps, ces dernières semaines. Ça serait injuste que ça tombe sur elle, mais après tout, ce ne serait que justice. J'en veux à tout le monde, j'en veux au Destin, j'en veux aux habitants de Jake Town ainsi que celles qui fréquentaient Ahàron en pensant que ce n'est qu'un dragueur à deux balles, mais qui, finalement, s'avère être le plus gros connard qui peuple la planète. Ainsi vont mes raisonnements que je m'assis, détournant les yeux vers Isobel, lui adressant un sourire entendu « Quel supplice? Je vois carrément pas de quoi tu parles, la conférence soule tout le monde. J'suis juste la seule à avoir le cran de me tirer, point barre ». J'analyse sa réaction. De tous les trucs qu'Ahàron a pu lui dire, je jure devant Dieu que je le castre s'il a osé parler de ça. Du seul truc au monde que je vendrais mon âme pour le cacher au reste du monde. C'est trop honteux. C'est trop grave. Passant la main dans mes cheveux, légèrement nerveusement, impatiente aussi, de voir ce qu'elle aura à répondre « À moins qu'il y est un truc que j'ignore, c'est clair ».