16 avril 2009, DENVER, COLORADO. Il devait être 19h30 lorsque le soleil termina sa longue descente dans le ciel, impatient de passer le relais. Le temps était calme, doux et agréable, la ville s'agitait, anticipant la soirée à venir: un vendredi soir ne pouvait qu'être animé. Tous s'apprêtait à sortir sans savoir le moment où il rentrerait seul - ou pas, avec un peu de chance - totalement ivres. Je devais être la seule personne à Denver qui n'avait pas encore envahi la salle de bain, la rendant comparable à un champ de bataille, la seule à ne pas avoir mise sa penderie sans dessus dessous, à la recherche d'un haut potable à me mettre sur le dos. Non, moi, j'étais mal installée sur une vieille chaise de jardin qui arborait un blanc jaunie, admirant le paysage strié d'orange, assurément influencé par les derniers rayons du soleil. Malgré la chaleur de ces lueurs, l'appartement a toujours l'air aussi miteux et bordélique. Le salon est minuscule, n'offrant en aucun cas l'espace nécessaire pour le vieux canapé troué qu'on a tout de même condensé dans un coin de la pièce. Il arbore toujours la même peinture avachie lichen, un étrange mélange de gris et de verdure. Un ancestral poste de télévision - donc je ne jurerai pas de la compétence - est posé sur une boîte de carton. J'ignore pourquoi on la garde toujours ici, personne ne la regarde. Ma mère est toujours partie et comme mon père est enterré six pieds sous terre, je serai étonné de le voir se ressusciter que pour ne pas rater son feuilleton favoris. Ce décor, celui que je supportais depuis maintenant 9 ans, faisait naître en moi ce sentiment de désespoir et de déprime, auquel j'avais appris à m'habituer au fil des années. Je na voulais pas vivre ainsi, dans un quartier aussi peu fréquentables et aussi dangereux. Je ne voulais pas que ma mère continue de.. Au même moment, une ambulance déclencha ses gyrophares et une alarme stridente retentit de la rue voisine. Elle démarra en trombe et j'entendis les pneus mordent avec avidité dans le béton. Elle passa à toute vitesse en bas de l'immeuble de la 6th Avenue, mais je n'y faisais déjà plus attention, plongée dans des souvenirs nébuleux...



16 avril 2009, DENVER, COLORADO. À la minute même où l'on m'annonçait que mon père venait de rendre l'âme sur la table d'opération - une hémorragie interne importante qu'ils n'avaient pu contenir - je savais que rien ne serait plus pareil. Bien sûr, l'absence de mon père m'avait détruite, mais comparée à ce que ressentait ma mère, c'est un grain de sel. Elle avait perdu son port d'encrage, celui qui avait réussit à la faire décrocher. Avant de rencontrer Nigel, elle était la pire junkie du coin, camée jusqu'aux ongles et prostituée à ses temps perdues. Elle enchaînait les sevrages, échouant à chaque fois, cumulant les clients importants. Elle n'avait rien d'autre que cette dépendance à la drogue et son art. Une artiste peintre, droguée jusqu'à ne plus avoir d'autres raisons de vivre. Lorsqu'elle a rencontré mon père, elle n'avait rien de plus qu'un sac à dos et quelques bricoles récolté ci et là. Ayant quitter le nid familial à seize ans, elle avait toujours vécu seul et personne ne s'était intéressé à son cas désespéré jusqu'à lui. Il était charismatique, bel homme et savait séduire un public. Nigel Wakefield, riche héritier de la compagnie Wakefield, pro du marketing. Rien ne les aurait un jour destinés à se rencontrer. Rien, excepté cette nuit dans un bistro, où un vernissage amateur avait lieu. Hannah exposait ses premières oeuvres, inhabituellement vêtue d'une longue robe de soirée, digne des tapis rouges les plus prestigieux. Mais lorsqu'elle songeait à tous les clients qu'elle avait dû endurer pour pouvoir se payer cette tenue, elle perdait automatiquement de son cachet.